En Guinée, rien n’indique qu’on célèbre l’une des fêtes chrétiennes les plus importantes de l’année.
On se serait attendu à ce qu’elle fasse sa toilette, à ce qu’elle se pare et se parfume pour les évènements. Il n’en est rien. En cette période de fêtes de fin d’année, la capitale Conakry garde son visage habituel : une ville guinéenne qui vit à cent à l’heure dans un décor bruyant et ocre. Les mêmes taxis jaunes collectifs qui sillonnent la presqu’île longiligne, les mêmes Magbanas (minibus) bondés transportant, sur des routes chaotiques, des voyageurs serrés, les mêmes allers retours du courant électrique qui joue la météo.
C’est Noël mais pas de guirlandes qui scintillent sur les arbres et les façades des maisons, pas de soldes dans les boutiques et magasins, pas de toilette particulière pour la cité, pas de sapin, ni de père Noël si ce n’est au niveau des grand carrefours de la capitale. Bref, rien n’indique qu’on célèbre l’une des fêtes chrétiennes les plus importantes de l’année. Conakry garde pourtant sa façon de fêter Noël et surtout la Saint-Sylvestre.
Attention, précisons le vocabulaire: ici, dites plutôt « 24 et 31 décembre », non pas Noël et la Saint-Sylvestre. Sinon vous passerez pour un chrétien pédant. «24» et «31» c’est plus simple, plus modéré, plus symbolique.
Symbolique. C’est aussi le mot qui convient pour qualifier la proportion de la population catholique en Guinée, un pays à 85% musulman et 5% animiste (Rapport 2009 sur la liberté de religion en Guinée). Les 10% des groupes chrétiens comprennent des Catholiques Romains, des Anglicans, des Baptistes, des Témoins de Jéhovah, des Adventistes du Septième Jour, et quelques groupes évangéliques. Ils vivent principalement à Conakry et au sud du pays, dans la région forestière.
Pour la majorité de ceux-là, Noël s’appelle bien Noël et garde tout son sens religieux. Leurs enfants peuvent donc espérer un cadeau de Noël apporté par le père (biologique) et un petit bout de sapin (plus improbable).
Et pour les enfants musulmans ?
Ils se contenteront des fumigènes et des pétards, mais en bravant l’autorité.
La mesure est devenue un marronnier pour le gouvernorat de Conakry. À la veille des fêtes de fin d’année, le gouverneur de la ville interdit l’usage des pétards dans sa circonscription territoriale. Motif invoqué ? La nuisance sonore que provoquent ces engins vendus pour des broutilles. Comme cette année le General Mathurin Bangoura l’actuel patron de Conakry -, n’a pas boudé cette tradition. Interdiction formelle de vendre et de faire exploser des pétards à Conakry.
Une mesure de sécurité pour lui, une déception pour les gamins de la cité qui raffolent faire éclater les «flambeaux» (entendez pétards) chaque fin d’année. Un des rares moments de détente pour eux quand on sait que Conakry ne compte qu’un seul et unique parc de loisirs pour enfants (Jardin du 2 octobre) qui n’ouvre ses portes qu’à l’occasion des fêtes.
La mesure est diversement appréciée par les citoyens. Certains estiment que les pétards sont inoffensifs et qu’on devrait laisser les enfants jouer, tandis que d’autres la jugent salutaire expliquant que les pétards sont traumatisants et qu’ils peuvent être dangereux pour les enfants (risque d’accident). On comprend aisément cette dernière catégorie en faisant le rapprochement avec l’insécurité qui règne en permanence à Conakry où des gangs multiplient les attaques à main armée. D’un autre côté – et ce n’est pas rien – la nuisance sonore mise en avant par les autorités pourrait cacher leur frilosité à la ressemblance du bruit d’un pétard pour gamin, à celui d’une kalach pour mutin…
C’est une question de sécurité a-t-on dit. C’est vital. Vital, c’est aussi la réponse à cette question : comment célébrer avec fastes «24 et 31» dans un pays qui affiche des performances économiques sur le papier (PPTE et 10ème FED) mais qui reste ravagé par la misère avec plus de la moitié de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté ?
Un casse-tête chinois pour les fêtards de Conakry qui se font des cheveux blancs pour savoir comment assurer la «sortie».
Pour la nuit du 24 décembre, l’affaire est pliée ; il ne se passe plus grand-chose. La fête se banalise. On l’assimile de plus en plus à Noël, donc à une fête chrétienne. Cependant, certains musulmans très modérés iront, par plaisir, casser la croute dans un restaurant.
Le « 24 » est donc boudé au profit du «31», considérée comme une fête universelle marquant le nouvel an. Une explication plus réconfortante pour les «fidèles» qui écoutent les sermons du vendredi en ce moment où les imams s’évertuent à dissuader les musulmans de se mêler de la « débauche » du 24 et du 31.
Les imams ont beau évoquer la Géhenne et autres tourments à l’encontre des contrevenants, chaque année, la crise aidant, on se demande : comment se mettre sur son 31 le «31» ?
La question est plus préoccupante pour les garçons qui, très souvent, doivent y apporter une double réponse : pour eux et pour leur dulcinée.
Pour eux, ce sera de préférence souliers, chemise, veste et cravate, se moquant royalement des 35°C qu’il fait à Conakry, amplifiés à 50° dans les discothèques bourrées. Pour la cavalière, en plus de la tenue principale, la note risque d’être plus salée à cause des accessoires : mèches, faux ongles, lait de corps, sac à main et tout ce que celui-ci peut contenir. Un vrai gouffre financier pour les mecs, une aubaine pour les commerçants qui, à l’approche des fêtes, donnent un sens particulier au mot « soldes » : tous les prix prennent le mont Nimba (faute d’ascenseur, faute de courant).
La question de tenue de soirée résolue, reste une dernière interrogation: où faire la fête ?
Night-clubs, bars et restos sont généralement pris d’assaut. Les routes aussi. D’habitude, la nuit du 31 décembre, Conakry ressemble plus à un parking géant immobile qu’à autre chose. D’interminables bouchons ponctués d’accidents spectaculaires quand la bière, qui coule à flot, commence à mousser dans le ventre des musulmans très (trop ?) modérés…
Face à la galère qui sévit et aux embouteillages monstres, beaucoup ont trouvé la parade : se cotiser pour organiser une soirée cool chez un pote du quartier. Vu la conjoncture, cette formule risque de faire des émules cette année.
Journal de Guinée vous souhaite Bonnes fêtes de fin d’année.
Ibrahim kalil DIALLO