Société : Les guinéens croient-ils en l’Éducation ? ( Par Ibrahim Kalil Diallo)
La question peut peut-être paraître insultante. Mais insulter mon Pays est, pour moi, le dernier crime à commettre. Si la poser s’impose à moi, c’est qu’il m’a été donné de noter plusieurs réalités troublantes dans les rapports qu’entretiennent mes Compatriotes avec l’Éducation, ici prise dans le sens d’instruction. Quiconque fera l’effort d’y répondre admettra l’urgence d’améliorer la formation de notre Population pour faire face aux défis actuels et à venir dans le monde.
Dans le discours officiel, il ne fait aucun doute que l’Éducation figure parmi les hautes priorités de la République et des Familles. On semble conscient de ses enjeux et voir en elle la voie des progrès. On semble accepter qu’il s’agit d’un passage obligé, mais lequel valant tous les sacrifices faits à son honneur.
Cependant, quand on s’éloigne de cet univers officiel, fait de professions de bonne foi, de chiffres douteux, et d’avancées peu ambitieuses, et que l’on plonge dans le quotidien du guinéen, on se rend vite compte que trop de choses dites sur l’Éducation sont à prendre avec des pincettes.
D’abord, il faut constater que l’ignorance, due à une absence de toute forme de scolarité, atteint des niveaux effrayants dans notre Pays. Voir des guinéens qui n’ont été ni à l’École Coranique ni à l’École laïque est fort courant. La plupart d’entre ces non-instruits se retrouvent avec une culture limitée en tout. Ils savent peu de choses sur leurs devoirs religieux, sur l’Histoire de leur Pays, sur la vie institutionnelle et politique de leur l’État, sur le fonctionnement du monde. Combien de fois, par exemple, des Jeunes en âge de voter m’ont demandé ce à quoi consiste le travail du Président ou du Député de la République, ou la différence entre un Maire et un Préfet ? Combien d’entre nous ignorent déjà leurs dates de naissance, leurs prénoms véritables inscrits dans leurs actes de naissance, pour espérer connaître un tout petit peu de l’Histoire de la Guinée, vieille de plusieurs siècles, et de ses acteurs ; pour espérer comprendre le contenu d’un programme politique ou les conséquences d’une crise internationale ?
Dans notre Pays, ils sont nombreux à marcher sans un bagage intellectuel quelconque, devenant ainsi les proies faciles des arnaques, de la corruption, des brimades administratives, des instrumentalisations politiques et des détournements spirituels.
Ensuite, la bataille menée contre cette ignorance, si elle existe, n’a pas encore présenté des résultats probants. Aujourd’hui, le constat est que l’ignorance, après avoir vaincu les masses non-scolarisées, gagne du terrain dans les établissements scolaires.
L’Étudiant qui s’exprime convenablement dans la langue qu’il a passé au moins treize années à apprendre ; le Lycéen apte à vous relater la Guinée sous la Décolonisation ; le petit Scientifique récitant ses formules ou prenant du plaisir à les manipuler ; sont aujourd’hui les perles rares.
Dans une certaine majorité, les têtes de nos Apprenants sont froides, légères et perméables. Elles manquent de cette culture qui se développe lors des cours et qui fait que l’Apprenant ne peut plus se passer de connaître.
Elles manquent de cet Esprit critique qui les font répéter les paroles des autres comme s’il s’agissait là d’un exploit, tout en manquant de faire participer leurs méninges. Elles manquent de cette assurance des Apprenants convaincus de l’utilité de leurs enseignements et déterminés à faire bouger les choses en mieux, grâce à tout ce qu’ils auront appris.
Je soupçonne qu’à ces jours, l’Apprenant guinéens le plus représentatif soit celui qui va à l’École sans vraiment savoir pourquoi. Peut-être y va-t-il pour faire comme les autres ; pour ne pas rester à la maison ; pour se trouver une occupation, pis, une distraction.
Combien sont-ils à prendre le soin d’apprendre leurs leçons pour en faire usage ? Combien voient-ils en leurs études leur seul moyen, celui par lequel ils pourront accéder à une digne carrière professionnelle, sans avoir à courber l’échine ou à jouer le jeu des « bras longs » et magouilles ; le moyen par lequel ils pourront significativement contribuer au mieux-être de leur Société ? Combien savent-ils encore que la finalité des études n’est pas d’intégrer une élite embourgeoisée, de devenir des politiciens voleurs et sans scrupules, des médecins et hauts-fonctionnaires chroniquement corrompus, mais bien d’être source de soulagement pour ses Compatriotes ?
Quant aux Parents guinéens, quand cesseront-ils, dans leur majorité, de considérer l’Éducation comme un simple moyen d’accroître leur pouvoir d’achat ? Pourquoi sont-ils nombreux à ne s’intéresser aux études de leurs progénitures quand ces dernières sont proches du premier salaire ?
Pourquoi ne se préoccupent-ils pas de connaître les enseignements et enseignants de leurs Enfants ? Pourquoi face aux grèves et retards dans l’agenda scolaire guinéens, ne sortent-ils pas dans les rues, aux côtés de leurs Enfants, mettre la pression sur le Gouvernement et les Syndicats enseignants, comme ils le feraient pour toute autre question vraiment importante à leurs yeux ?
Pourquoi, enfin, des Parents guinéens sont-ils plus enclins à offrir à l’Enfant un boubou pour la Tabaski plutôt que le cahier ou le livre exigé par son enseignant ?
L’engagement des Parents guinéens n’est pas le plus exemplaire : ils n’ont pas atteint le stade où l’Éducation de leurs Enfants est un impératif. Ils ne se sont pas suffisamment conformés au principe qu’ils doivent les accompagner tout au long de leur formation à l’École Coranique ou laïque, jusqu’au jour où ils deviendront des Hommes aptes à servir.
Enfin, je soupçonne les acteurs politiques guinéens de se réconforter dans l’ignorance des masses; celles qui sont manipulables et ne sont demandeuses d’aucun Droit. On les endort avec les promesses, les calme avec les prétextes et les tient en respect avec les Hommes en uniforme ; tout en prenant le soin de détourner ou d’écarter les plus brillants parmi les Jeunes qui voudront entrer dans le monde politique.
Les milliards qu’ils disent investir dans l’Éducation sont à prouver, car dans notre Pays, aucune Université publique ne fonctionne normalement aujourd’hui : les effectifs explosifs, le mal-logement, la tenue des cours et des examens, la violence…
La Guinée que je vois n’est pas un grand serviteur de l’Éducation. Une grande partie de sa Population, de sa Jeunesse, reste dans les serres de l’ignorance. Il lui arrive rarement de construire des établissements scolaires, et ceux déjà en place s’éternisent dans la pénurie et les grèves ; quand ils ne sont pas abandonnés à des corps enseignants dont le niveau général est de plus en plus déplorable.
Les milliards qu’on jure y avoir investis ne l’ont pas été, ou ont dû, par hasard, se trouver dans des poches de veste ou des coffre-fort, empêchant notre Pays d’être une terre où fleurissent les Sciences profanes et religieuses. La terre d’une Jeunesse avide et nourrie de savoir, d’une Population éclairée, qui sait décider de son avenir en comptant sur ses propres neurones et muscles.
La Guinée sera, quand ses Citoyens sauront !
L’on s’interroge souvent, à juste titre, pourquoi les jeunes guinéens se ruent vers la politique plutôt que de monter des projets d’entreprise pour s’assurer des lendemains meilleurs ?
Et bien la réponse elle est toute simple : C’est parce que presque tous les modèles de réussite juvénile qui nous sont servis dans notre société sont des jeunes politiciens.
La politique nourrit son homme. Elle est la voie royale pour se faire une place au soleil vite fait et bien fait. Un peu de Loyauté, d’Engagement et de Folie pour son mentor ou son parti politique, et le tour est joué. Vous avez une voiture ou une maison dans un quartier huppé de la capitale. Le rêve de tous les jeunes !
Alors n’allez pas vous étonner de voir la majorité des jeunes guinéens prêts à passer de vie à trépas dans des batailles politiciennes rangées. C’est leur gagne-pain. Il faut protéger sa chapelle politique coûte que coûte sans discernement. L’instinct de survie les y pousse !
Ils ne sont plus nombreux les jeunes qui font la politique par Foi et Conviction. Le souci de contribuer au bien-être de la communauté et à l’expression de la justice dans la cité, qui sont le ferment de l’action politique, sont de biens lointains souvenirs sous nos cieux. Se servir et non servir, tel est le leitmotiv !
À côté de cela, quand vous décidez d’entreprendre en tournant le dos à tous les soubresauts politiques, que de bobos. Il n’y a rien de moins évident ! Pour avoir un financement ou votre premier marché, que de misères. Malgré la fiabilité et la viabilité de votre projet, si vous n’avez pas de parrain politique, vous allez trimer longtemps. En fait, tout est mis en œuvre pour ne pas vous éloigner de la nasse des faiseurs de roi.
C’est pourquoi, nous avons la bizarre appréhension de l’existence d’un plan machiavélique d’abrutissement délibéré de la jeunesse guinéenne par les politiques visant à la tenir perpétuellement par la laisse.
J’en veux pour preuve la défaillance notoire de notre système d’éducation-formation qui semble marcher à reculons. Le but étant de briser les jeunes intellectuellement pour mieux les tenir aux besoins…
Sinon comment comprendre que l’on encourage les jeunes à entreprendre sans leur présenter de vrais modèles de réussite dans le domaine des affaires ? Ceux qui sont chargés de galvaniser les jeunes à l’entrepreneuriat ont tous réussi dans la politique. Comme qui dirait : « Fais ce que je dis, mais ne fais pas ce que je fais ».
Le pire, c’est quand votre entreprise souscrit à un appel d’offre public. Vous déposez vos offres technique et financière. Mais après, rien. Silence radio. Vous ne savez même pas à quelle sauce vous avez été mangé. La vérité est que votre dossier de souscription a servi à camoufler une mascarade bien huilée… En fait, la quasi-totalité des ministres et DG sont des affairistes. Ils détiennent tous des sociétés écrans vers lesquelles les marchés publics sont orientés.
Ainsi, tous les petits souscripteurs, comme nous, ne sont que des faire-valoir participant, sans le savoir, à une mise en scène qui sert à justifier le formalisme des appels d’offre. Vous venez de vous faire niquer stratégiquement… !
Alors comment voulez-vous que nous soyons des entrepreneurs performants si vous nous faites de la concurrence déloyale ? Donc, vous prenez le salaire de ministre, le salaire de député, le salaire de maire, l’argent de l’agriculteur, l’argent d’entrepreneur ? Cumul de postes et d’argent !
Pardon, faut partager les fruits de la croissance avec le bas peuple… ! Le Président Donald TRUMP vous donne un bel exemple de patriotisme en renonçant à son salaire annuel de 400.000 dollars.
C’est pourquoi, quand la question du choix entre LE SUIVISME POLITICIEN ET L’AUDACE ENTREPRENEURIALE se pose, les jeunes ne se creusent plus la tête. La preuve sur les réseaux sociaux, ils sont plus motivés dans les débats portants sur des sujets politiques, les forums dédiés à la politique sont les plus animés…
Ibrahim Kalil Diallo Journaliste à Journal Guinée
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